© Luc Dartois - Mai 2019
actualisé en octobre 2019, novembre 2020
Une rame de métro pénètre entre deux rangées d’immeubles sous une pluie battante.
... Et la pluie a été densifiée.
D'autres zones de lumières ont également été retravaillées...
Afin de livrer la toile à temps pour l'exposition de New York d'avril 2019, certaines parties ont été laissées inachevées.
La toile a été reprise par la suite en deux temps: en juillet et en septembre.
Sur la partie droite des immeubles, l'ombre a été densifiée pour refermer le bord extérieur droit. Tandis que la lumière a été à la fois intensifiée et concentrée.
La gamme chromatique fait appel à un nombre limité de peintures mais leur combinaison avec les charges de pigments purs et les matières donne au final une gamme très étendue de nuances.
Les deux masses chromatiques principales sont constituées de blancs et de noirs tandis que les gris intermédiaires, essentiellement concentrés sur les immeubles, occupent une place plus réduite. Il en résulte une extrême densité des parties claires et sombres.
Une première coloration a été appliquée à la teinture de bois (ciment, ballast et traverses). Cette teinture très fluide pénètre en profondeur dans la matière et crée une base sombre homogène. La résine (volets, métro, viaduc, eau) a été mélangée avec du pigment pur noir d’ivoire. La mise en peinture n’intervient qu’après cette première phase de coloration.
© London Film Productions
© Dimension Films, Troublemaker Studios
2005, 2014 - Sin City
Robert Rodriguez et Frank Miller
2006 - Paris 2054, Renaissance
Christian Volckman
1955 - Razzia sur la chnouf
Henri Decoin
1949 - Le Troisième homme
Carol Reed
Planche VII des Prisons, dite « Le Pont-levis ».
L’organisation des plans coïncide avec l’organisation des masses de matières.
Quatre masses principales de matières se répartissent dans la composition: double masse de ciment des immeubles, masse de coton du ciel, et deux masses composites: l’une en bois, graviers, résine qui occupe la partie la plus importante du premier plan, l’autre en ciment, bois et résine qui occupe le plan inférieur.
Où ira-t-il lorsque sera passé le dernier métro?
Ainsi le pont peut se voir comme un lien entre le monde invisible et le monde physique, un lien entre le passé et le présent, un passage entre la vie et la mort.
La seule personne vivante dans le tableau est le spectateur lui-même mais est-ce vraiment le cas? La position du point-source du regard indique nettement une position en état d’appesenteur.
L’absence de présence humaine pose aussi une base de reflexion philosophique sur l'abandon, le vide, la faillite... Sur la place que l'Homme se prépare à occuper au moment où commence une nouvelle période d’extinction massive dont il est à l'origine.
Le choix d’un modèle ancien de rame Sprague-Thompson ne doit rien au hasard. Il créé un lien vers le passé. L’Histoire n’est pas que cyclique, elle est aussi linéaire.
Le métro est vide de passagers, seul le conducteur figure une présence dont on peut se demander si elle est complètement humaine. Tout conducteur est un passeur. Aujourd’hui il conduit une rame de métro. Dans un passé plus lointain, ce même passeur conduisait une barque sur le Styx.
La pluie battante semble être le seul élément vivant du tableau. Elle joue un rôle particulier, à la fois pictural et symbolique. Elle unifie les différentes masses de matières mais symbolise aussi la dissolution des certitudes, l’éphémère. Aucune autre présence ne vient troubler le crépitement des gouttes, inspirant ainsi une sensation de calme proche de la plénitude. Le temps est suspendu.
Nous somme déjà sur un passage entre deux mondes.
Le noir joue ici le rôle prépondérant, ils envahit tout l’espace de la toile, jusqu’à prendre une consistance quasi-organique. Les parties lumineuses sont fuyantes, elles s’éteignent dans l’arrière-plan et se concentrent dans les diagonales descendantes du premier plan.
Le noir macrophage annonce un retour à l’obscurantisme, le prélude d’un désastre.
Un simple jeu de lumière vaut un livre d’Histoire.
A contrario, la lumière est constituée de matières utilisées en touches denses, ce qui permet de créer les reliefs qui vont accrocher et réfléchir la lumière extérieure.
Les micro-reliefs de la matière se comportent comme autant de pièges à lumière qui captent et renvoient la lumière extérieure.
Les touches de lumière les plus intenses sont toujours posées au milieu des noirs les plus denses, ce qui donne une tessiture maximale entre le blanc (mélange de plâtre, colle, et pigment pur blanc de titane) réhaussé par la lumière extérieure et le noir des ombres véritables portées par les volumes de matières.
La lumière extérieure est toujours intégrée dans la composition du tableau. Dans ce cas précis, elle est préconisée frontale avec un léger décalage sur la gauche, afin de faire légèrement projeter l’ombre du métro sur les immeubles de droite, mais sans perdre la luminosité des reflets sur les immeubles de gauche. La masse d'immeubles de gauche ne devant pas être moins éclairée que celle de droite.
La manière dont l'éclairage est orienté peut donner une vision très différente de l’oeuvre.
Les peintures utilisées sont des peintures Humbrol: peintures émail glycérophtaliques dont les pigments très fins présentent une très bonne résistance à la lumière. Cette peinture présente en outre l’avantage d’adhérer sur pratiquement n’importe quelle surface, y compris sur du verre.
La peinture est utilisée diluée, ce qui donne des couches très fluides et des touches très peu visibles. La fluidité de la peinture est essentielle pour préserver les textures des matières. Les textures crééent les vibrations, rôle habituellement assuré par les couleurs.
La référence à la lumlère des films noirs et néo-noirs ou tech-noirs est très nette. Les matières ont été utilisées pour densifier les contrastes bien plus que ne pourraient le faire les pigments seuls. Elles donnent leur densité et leur présence aux formes. Sans elles pas de reflexion de la lumière extérieure ni d’ombres portées.
De plus, la composition s'est inspirée d'une scène d'un film d'Henri Decoin "Entre onze heures et minuit" (1949).
Sur le plan inférieur, le sol lui-même semble se dérober en plongeant dans le vide. Les rues sous le viaduc prennent une structure labyrinthique qui n’est pas sans rappeler les prisons de Piranèse.
“Le mythe du labyrinthe est une double représentation de l’Homme et de sa condition : il représente l’Homme obscur à lui-même, qui se perd en prétendant se connaître. Il symbolise l’âme humaine dans toute sa complexité, au plus intime d'elle-même renfermant le mal (ainsi peut s'interpréter l'image de la créature monstrueuse qu'est le minotaure enfermé au cœur du labyrinthe). Le labyrinthe représente aussi l’Homme face à l’univers : perdu, ne sachant d’où il vient, où il est, où il va, et cherchant à sortir de cet état, c’est-à-dire à trouver des réponses aux questions qu'il se pose. Le labyrinthe est ainsi une métaphore sur le sens de la vie : l'envol de Dédale et Icare peut symboliser l’élévation de l’esprit vers la connaissance ou celle de l’âme vers la spiritualité, qui permet de sortir de l’enfermement et de l'absurdité de la condition humaine.” Wikipedia
Le regard est d’abord attiré par les sources de lumière des premiers plans mais le faisceau de diagonales créé un effet d’élasticité qui renvoie le regard du spectateur dans le fond, d’où le néant recouvre la lumière.
Le centre de l’univers du tableau se situe sur un infini qui ne cesse de s’éloigner.
L'éclairage public est déjà en grande partie éteint. Seules sept ampoules restent encore en état de marche sur la trentaine que compte normalement le viaduc.
Combiné à un système complexe de verticales et d’horizontales, l’ensemble donne une impression de stabilité. Mais cette impression n’est qu’apparente.
La ligne d’horizon est placée pratiquement au centre du tableau.
Un faisceau de lignes en diagonales rayonnantes projette le point de fuite dans un fond qui semble aller au delà du tableau lui même. Le regard du spectateur se trouve littéralement aspiré vers cet infini.
La masse d’immeubles située à droite a fait l’objet d’une perspective à plusieurs points de fuite, visible dès les dessins préparatoires. Le dessin a été modifié pour une perspective à point de fuite simple. Mais par la suite, les points de fuite multiples ont été rétablis afin de conserver une dynamique de mouvement et de créer un effet enveloppant. Cette masse étant elle-même envahie par le noir du ciel, l’enveloppement est double.
Le point de fuite a été décalé du centre vers la gauche ce qui place le spectateur en un endroit d’où il est impossible de se tenir physiquement.
Les formes ont été épurées afin de supprimer les détails superflux. De même, la ligne d’immeubles du fond a été supprimée. Cela renforce l’atmosphère générale d’abandon qui se dégage de la toile.
Enfin, une cinquième masse constituée par des fils enduits de colle figurant la pluie se répartit sur l’ensemble de la surface. Ces fils se trouvent aussi bien fusionnés dans le fond qu’en décalage par rapport à la toile. Ce décalage permet d’obtenir des gouttes de pluie en suspension dans l’espace.
Des repentirs et des retouches existent, la zone gauche de la composition, d’abord laissée libre, a été élaborée au fur et à mesure de l’avancement de la toile.
L’évaluation et le contrôle en continu constituent une part essentielle du travail de construction.
Le travail se fait en lumière du jour venant de droite, exposition Sud-Est. La lumière artificielle étant réservée aux parties nécessitant peu de précision.
Pendant tout le processus de construction, la toile est évaluée en permanence au miroir et à la photo. Dans les phases finales de la construction, elle est évaluée sous différentes lumières à toutes les heures de la journée, sous différentes orientations, sous lumières artificielles...
La signature a été posée au tampon en haut à gauche dans un ton proche du fond pour ne pas créer d'interférence avec la lumière. La toile est datée et contre-signée au verso avec la liste des composants utilisés.
La rame de métro a été réalisée séparément de la toile avant collage. Les différents éléments ont d’abord été découpés pièce par pièce dans du balza avant assemblage.
L’ensemble a été enduit d’une couche de ciment pour changer la texture du bois, puis recouvert d’un mélange de résine et de pigment pur noir d’ivoire avant la pose des vitrages et leur mise en peinture.
Les détails (phares, poignées de porte, ...) ont été ajoutés ensuite. Une application finale de résine transparente permet de simuler l’écoulement de la pluie. La mise en lumière n’intervient qu’à la phase finale de l’oeuvre.
La finesse de gravure et le degré de détails sont adaptés à l’agencement des perspectives. Les premiers plans sont gravés en précision, tandis que le niveau de détail devient de plus en plus sommaire au fur et à mesure de l’éloignement vers l’arrière plan.
Ceci permet de restituer l’équivalent d’une perspective atmosphérique (en pigments il s’agit d’une estompe des détails combinée à une désaturation des couleurs). Le sujet surgit mais sans perdre son ancrage dans la toile.
La gravure est réalisée pour sa plus grande part à la lame de cutter par ajouts et retraits successifs de matières, il peut arriver aussi que le doigt, l’ongle, le pinceau soit utilisé lors des phases finales.
Une fois les premières couches posées, des gabarits imprimés en taille réelle sont utilisés au fur et à mesure de la pose des futures masses de matières.
Par la suite, différents éléments avec leurs matières correspondantes sont ajoutés au fur et à mesure de l’avancement de l’oeuvre: ciment, coton, bois, résine, sable, graviers, cartes plastique transparentes...
Il existe toujours une correspondance entre les textures des matières utilisées et les objets qu’elles représentent: matières minérales pour les murs, texture lisse pour les rails et la tôle, bois pour les traverses, coton pour les couches de nuages...
Chaque texture possède sa vibration propre et joue le rôle assumé par la couleur dans les toiles en pigments seuls. Les matières se répondent les unes aux autres de la même manière que le font les couleurs entre elles.
La symbolique des matières trouve elle-même sa correspondance: matières minérales des immeubles et des structures verticales donnant assise et stabilité à la toile, matières organiques vaporeuses sans forme mais au mouvement perceptible donnant une dynamique, matières synthétiques polyformes pouvant représenter aussi bien le métal que le verre ou l’eau soit aussi bien des éléments solides que liquides...
Les premières sous-couche de matières font suite au dessin, ce qui permet de poser les premières masses de teintes.
Dans le cas de masses à gros volumes de ciment, un pré-volume en balza est appliqué en premier afin d’alléger le poids final de la toile. Cette technique a été inaugurée avec l’ "Assemblée Nationale" en 2012.
La masse de coton dans le ciel fait l’objet d’un traitement particulier. Le coton ne se colle pas, il est noyé dans la peinture. L'adhésion sur le support se fait pendant le séchage. Plusieurs couches sont ensuite nécessaires jusqu’à obtenir la texture et la densité souhaitée.
Les couches de matières sont posées en suivant un schéma déjà employé: du plus lointain vers le plus proche. L’ordre des poses suit l’agencement des plans de perspectives. Les parties sombres sont pigmentées en premier, la lumière est posée en dernier.
Réalisée sur une toile pré-apprêtée à grains fins du commerce, un dessin au crayon parfois réhaussé à la craie noire sert de point de départ à la construction proprement dite. Il permet de fixer les grandes lignes de composition, ainsi qu’à calibrer les futures masses de matières qui viendront s’ajouter.
A chaque matière correspond une ou plusieurs techniques différentes. Leur combinaison nécessite une mise en cohérence qui se fait le plus souvent par l’intermédiaire du pigment lors de la mise en couleur. Le pigment joue un rôle d’unificateur.
Les toiles sont ainsi travaillées et retravaillées jusqu’à ce qu’émerge un résultat jugé satisfaisant, cela peut aller jusqu’à la reprise plus de vingt ans après de peintures laissées en suspens.
Au final, les toiles ne sont jamais complètement achevées, elles sont laissées en l’état au moment où elles acquièrent une autonomie suffisante.
Ceci explique non seulement la très grande rareté de ce type d’oeuvre (production de deux à trois par an en moyenne à l’heure actuelle), mais aussi l’impossibilité de les reproduire à l’identique, ce qui exclu la possibilité de faux que l'on pourrait confondre avec un original.
“Une peinture est terminée seulement lorsque l’artiste y retrouve son intention.” Rembrandt
Les sujets font toujours l’objet d’une préparation très minutieuse avant même que ne soit posé le premier trait de crayon. Une ou plusieurs scéances photo sont nécessaires, complétées par des vues satellites pour obtenir une vision d’ensemble du sujet.
Les toiles ne sont jamais peintes spontanément sur le motif mais font l’objet d’une reflexion approfondie, bien que le choix du sujet puisse se faire de manière spontanée ou instinctive.
Choix du point de vue, scéances de photos préparatoires et/ou dessins préparatoires, travail préalable de cadrage et de composition sont réalisés en amont. Cette préparation peut prendre de plusieurs jours à plusieurs semaines.
L’élaboration de cette toile fut lente. Elle a été réalisée tout au long de la deuxième moitié de l’année 2018 jusqu’aux premiers mois de 2019, soit un peu plus de huit mois de travail.
Elle a été exposée pour la première fois à New York en avril 2019, puis à Paris en octobre 2019, début mars 2020 et juin 2020.
De même les ponts et le thème ferrovière forment un sujet récurrent.
2016-2017 - Paris, Gare de l'Est
2017 - Je te salue vieil Océan!
1996 - Deux arbres sous la pluie
La pluie est omniprésente dans la toile, elle en constitue un thème central. Ce thème apparait dès les années 1995-96 puis revient régulièrement.
Les seules lumières proviennent de l’éclairage public et du métro. Les rues sont désertes, toutes les fenêtres des immeubles sont fermées. A l’arrière-blanc, le ciel forme une masse noire compacte.
Nous somme devant le pont de Bir-Hakeim à Paris, juste à la sortie de la station de métro Passy. Le métro est une rame Sprague-Thompson, en circulation jusque dans les années 1970-80.
La toile est en noir et blanc, elle fait 95cm de long pour 60cm de hauteur hors cadre.
Elle prend comme base géographique un paysage parisien, environnement immédiat de l’auteur et source de sujets privilégiée depuis les années 2010-11.
Peintures et matières sur toile
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