© Luc Dartois - Juin 2019
actualisé en novembre 2020
Les vagues de "Je te salue vieil Océan!" suivent une rythmique proche de la “Mer nocturne”.
Mais les proportions sont inversées: deux tiers pour le ciel, un tiers pour l'Océan et le sol.
La foudre agit à la manière d’un doigt. Son orientation guide le regard vers la lumière du fond, qui par un effet de ricochet renvoie l’oeil sur la lumière de l’écume.
Le traitement du sujet le rend intemporel. Il peut aussi bien s’agir d’une référence au passé, comme un souvenir d’enfance plus ou moins effacé, qu’à un instant du présent.
Ou au contraire cela peut montrer une vision d’avenir représentant un monde sans humain, les éléments naturels continuant leurs cycles dans une totale indifférence aux histoires individuelles et à l’Histoire.
C’est sans doute “Le Casino” qui livre la clef des deux autres toiles: d’un côté la "Mer nocturne" en couleur avec une ambiance ambigüe qui semble renfermer une menace sous-jacente, de l’autre côté "Je te salue vieil Océan!" en noir et blanc comme un voile jeté sur un dernier regard...
Un cycle de vie et de mort où se mêlent des souvenirs d’enfance, avec entre les deux des destins issus de sommes de hasards, d’improbabilités... comme un jeu dans un casino.
Dieu ne joue pas aux dés... mais l’Homme joue à la roulette.
La lumière chaude du lampadaire peut évoquer des souvenirs lointains comme une vision fugitive dans le coin de l'oeil, ou la fascination qu’enfant on peut éprouver pour l’orage.
Le banc est vide, l’enfant a grandi, le rêve est parti.
Ainsi pourrait-on reprendre la chanson "Confortably numb" des Pink Floyd, dont les paroles font écho à l'image. La lumière extérieure du bâtiment est pâle mais très intense. Elle se situe sur le bord extérieur du triangle. On peut y voir le symbole d’une espérance trompeuse.
La lumière intérieure du bâtiment est presque éteinte. La salle est vide.
La composition du "Casino" est triangulaire. Deux triangles apparaissent: celui formé par le haut de la rembarde, le mât du lampadaire, la foudre et la lumière du bâtiment; et celui formé par l’ombre du banc, le mât du lampadaire, et l’escalier du bâtiment.
Le lampadaire créé une verticale qui vient souder tous les plans. Une série de diagonales et d’horizontales donnent de la profondeur au sol et projette l’Océan dans le lointain.
A l’exception de la foudre, cette toile ne comporte pas de courbe dans sa composition.
Le bâtiment vient en équilibre du lampadaire et encadre le regard du spectateur d’abord vers le banc puis au delà de la rembarde. Le spectateur marche ainsi sur les traces de celui qui l’a précédé sur le banc.
Le banc se trouve dans la base du triangle.
La lumière du lampadaire se trouve dans la partie haute du triangle.
Le casino, lieu de jeu et de hasard, se situe dans la pointe descendante du triangle, symbolisant de cette manière la descente de celui qui peut tout perdre.
L’ambiance qui se dégage est calme, presque rassurante, mais aussi interrogative. La tension est latente dans les vagues.
La foudre vient déchirer la masse de noir, illuminant l’espace pendant un bref instant. Elle disparaîtra aussi vite qu’elle est apparue, laissant l’éternité se refermer.
Le noir ferme tous les possibles, nous dit Kandinsky. Ici au contraire il les renferme. Le noir contient toutes les questions du monde.
Le sentiment d’étrangeté est persistant. La lumière semble émaner des vagues. Elles ont l’air de surgir d’un lointain inaccessible et donnent à l’Océan une présence quasi-organique, où l’eau menace d’engloutir la vie.
Les trois toiles présentent des différences notables dans leurs compositions respectives.
Sur la "Mer nocturne", la ligne d’horizon est située sur le tiers supérieur. Les vagues descendent par un système de courbes qui donne à la lumière une répartition en cascade intégrée dans une forme pyramidale.
La perspective est frontale, sans point de fuite visible. Seules les vagues du fond donnent un dernier point de repère au regard.
La pluie et la lumière nocturne sont des thèmes très souvent traités tant chez les producteurs de mangas que chez les auteurs d’estampes japonaises.
Le traitement de la lumière dans "Le Casino" montre nettement l'influence japonaise.
La lumière est très concentrée. Le halo de l'éclairage du lampadaire s'arrête peu après le banc, ce qui permet de densifier par contre-coup la partie sombre du ciel et de l'Océan (à gauche), et la partie sombre du sol et de la rambarde (à droite).
Deux thèmes se démarquent dans cette toile: la lumière et la pluie. Lumières de l’orage répondant à la lumière du lampadaire éclairant le banc, elle-même faisant écho à la lumière sur le toit du bâtiment éclairant le mur.
La pluie est déclinée sous toutes ses formes: fils tendus sur la toile pour figurer les gouttes en phases de chute, touches de peintures longues et rapprochées pour figurer le rideau de pluie dans le lointain, touches de peintures en micro-pointes pour figurer l’écoulement de l’eau sur les vitres, mélange de morceaux de fils et de plâtre pour représenter le crépitement des gouttes, utilisation de résines et de touches de peintures fluides pour figurer le sol mouillé et ses reflets.
L’Océan est présent dans l’arrière fond, sa présence est perceptible avec les reflets de lumière sur l’écume, sa profondeur est accentuée par sa partie sombre sur la gauche. Bien qu’en retrait, il reste un élément essentiel du tableau: le banc lui fait face, le bâtiment lui fait face, le spectateur lui fait face.
Les touches de peintures sont très variées: aplats très fluides lorsqu’il s’agit de teinter la matière dans la masse sans l’empâter, passages à sec sur les reliefs de matières, peinture posée avec le tranchant d’une lame de cutter, touches en pointillés...
A chaque fois, la peinture se combine avec son support. Ainsi, chacune des matières, par leur différentes textures, permet une variété inégalée de touches.
On y retrouve les paires de complémentaires:
orange/bleu entre les nuances de la partie éclairée du sol sablonneux et les parties claires de l’Océan;
jaune/bleu-violet entre l’éclairage du lampadaire et les nuances sombres du ciel;
vert/rouge entre les points de couleurs présents dans le sol sablonneux et la partie ombrée du bâtiment.
Dans "Le Casino", une gamme variée de peintures et de pigments a été utilisée, mais cette fois-ci le noir est absent.
La séparation des tons chauds et froids est proche de celle des plans. Le sol et les détails du premier plan ont reçus des tons chauds. Le ciel, l’Océan et le bâtiment ont reçu une déclinaison de teintes froides.
Les touches de peintures sont généralement très fluides pour s’insérer dans les matières sans perdre leurs textures. Seule les zones de lumière sur l’écume ont fait l’objet de touches plus denses.
Le ciel est entièrement recouvert de coton teinté dans la masse avec des peintures Humbrol chargées aux pigments purs Sennelier.
La masse aquatique est en résine mélangée à du pigment pur, sculptée et mise en forme en fonction du tracé des vagues.
Le sol est en sable mélangé avec une faible proportion de résine.
La foudre est réalisée avec du fil d’étain, ce qui permet d'accrocher la lumière en séparant la foudre du ciel.
Des fils tendus dans la toiles figurent les gouttes de pluie.
Le noir pour fresque est utilisé quasi-exclusivement pour toutes les masses de ciel depuis l’apparition des premières toiles noir et blanc, tandis que le noir d’ivoire est réservé aux parties aquatiques.
Un mélange de plâtre et de blanc de zinc est utilisé pour la lumière. Les reliefs ainsi créés permettent de capter et de renvoyer la lumière extérieure. De cette manière, la lumière externe vient s’ajouter à la lumière interne des pigments.
La toile est en noir et blanc. La lumière est concentrée sur la foudre et l’écume. Des gouttes positionnées ça et là indiquent que la pluie a commencé à tomber.
La gamme chromatique de "Je te salue vieil Océan!" est des plus sobre. Toute l’intensité lumineuse se concentre dans les écarts entre blancs et noirs, donnant un effet proche des gravures et des estampes.
Une touche fluide sur un fond plâtré permet des dégradés très progressifs, tandis que cette même touche fluide dans une masse de coton donnera des touches de densité égale à celle du coton.
Sur de la résine, les traces de pinceau seront conservées et des touches légères pourront en faire ressortir les reliefs.
Tandis que sur du sable, le relief reste saillant alors que les touches de pinceau se fondent dans la matière.
Une touche dense sur du plâtre permet de faire ressortir les reliefs.
Dans tous les cas, la structure de la matière participe autant de la touche que le geste du pinceau.
Des touches de peintures légèrement floues permettent de conserver une sensation de mouvement.
Dans la "Mer nocturne", l’essentiel de la gamme chromatique consiste en une déclinaison de bleus, à l’exception du sol. Huit bleus différents issus de peintures Humbrol ont été utilisés en combinaison avec cinq pigments purs différents: azur, primaire, céruléum, outremer, prusse.
Le ciel a fait l’objet d’une charge supplémentaire de pigments de vert de baryte dans sa partie claire, de violet outremer et de noir pour fresque dans sa partie sombre.
Le sable du sol a d’abord été coloré à la teinture bois avant utilisation de peintures chargées aux pigments.
La lumière de l’écume est faite d’un mélange de plâtre, de blanc de zinc et de colle, sur lequel a été posé des couches de peintures très diluées, à la manière des glacis.
Au contraire de la répartition des plans, la gamme chromatique est très différente d'une toile à l'autre.
Il en est de même pour "Le Casino": le premier dessin sur la toile montre une rambarde plus basse et plus horizontale, une ligne d'horizon plus haute, et un bâtiment à peine visible.
Le sol, le ciel, le bâtiment ont fait l’objet de plusieurs tentatives de mise en lumière qui forment autant de repentirs.
Le bâtiment a été réalisé séparément avant collage et intégration dans les matières.
La lumière sur la partie sablonneuse en particulier, à été délicate à calibrer. Cette lumière n'est pas seule, elle est en relation autant avec les parties sombres qui l'entourent, qu'avec les autres sources lumineuses qu'elle ne doit pas déséquilibrer.
La lumière n’est pas venue immédiatement, plusieurs essais de répartition ont été tentés au fur et à mesure de l’avancement de la toile.
L’élaboration de "Je te salue vieil Océan!" a commencé par une série de croquis sommaires portant sur différentes perspectives et différentes répartitions des masses, avant le dessin au crayon sur la toile.
Une pré-couche de ciment a été apposée afin de préparer une surface accrochante.
Plusieurs tentatives ont été faites pour changer la disposition des vagues dans la version de 2018, pour finalement revenir sur un shéma assez proche du shéma initial.
Les principaux repentirs de la "Mer nocturne" concernent les changements effectués par rapport à la toile de 1996:
retouches des lignes de courbures de l’écume,
densification des parties sombres pour accentuer la profondeur de l’horizon,
intensification de la lumière sur le bord inférieur de l’écume,
reliefs plus accentués avec vagues sculptées dans la résine,
projection d’un mélange de plâtre et de colle afin de créer une structure de trame aléatoire dans la partie claire du ciel,
utilisation du coton pour les nuages...
Une analyse aux rayons X montrerait la toile de 1996 sous la toile de 2018.
Dans "Le Casino", on retrouve la répartition ciel-mer-terre en trois plans, commune aux deux autres toiles, avec l’addition d’un bâtiment et d’un premier plan. La répartition des masses de matières se cale sur cette séparation: coton pour le ciel, résine pour l’Océan, sable pour le sol, ciment pour le bâtiment, ciment + sable + résine pour le sol du premier plan ainsi que la rambarde, bois + résine pour les détails du premier plan.
"Je te salue vieil Océan!" procède d'une organisation similaire: perspective frontale et ligne de vague au lointain formant un appui pour le regard.
Par contre, le ciel occupe les deux tiers supérieur et ne forme qu’une seule masse. L’Océan et le sol se partagent le tiers inférieur.
L’organisation de la "Mer nocturne" est simple. Le ciel occupe le tiers supérieur de la toile. Il est lui même divisé en deux parties à peu près égales: une masse de ciel clair et une masse de nuages très denses qui finit par se confondre avec la limite de la ligne d’horizon.
La masse principale est représentée par l’Océan et le sol dans une proportion d’environ deux tiers Océan / un tiers sol.
Les trois tableaux sont signés au tampon.
L'ancienne signature de la toile de 1996 a été recouverte, la nouvelle signature a été placée à droite sur la couche de nuages.
La signature a été posée en haut à gauche dans "Je te salue vieil Océan!"...
... et en haut à droite dans "Le Casino".
Mer nocturne - Etat de 2018
Mer nocturne - Etat de 1996
2017 - Je te salue, vieil Océan!
Les trois toiles ont été travaillées avec lumière du jour à droite, exposition sud-est. Elles sont prévues pour un éclairage extérieur légèrement décalé à droite ou à gauche pour éviter les reflets.
Toutes sont contresignées et datées au verso avec la listes des ingrédients utilisés.
"Le Casino" a été commencée en avril 2017. Sa construction a duré environ quatre mois. Elle a été exposée pour la première fois à Miami aux Etats-Unis en décembre 2017, en paire avec "Je te salue vieil Océan!", puis à Paris début mars 2020.
"Je te salue vieil Océan!" est en noir et blanc. Elle a été commencée en février 2017. Elle a nécessité environ un mois et demi de travail. Elle a été exposée pour la première fois à Paris en juin 2017, puis à Miami aux Etats-Unis en décembre 2017, puis à nouveau à Paris début mars 2020 et juin 2020.
La première toile à avoir été commencée est aussi la dernière à avoir été terminée.
La "Mer nocturne" a d’abord été réalisée en 1996. Elle a été exposée à Paris en 1997 et 1998, puis une dernière fois en 2012.
Elle a été entièrement reprise à partir de la fin 2017. Elle a été terminée début 2018 après deux mois de travail environ.
Ils fonctionnent en binomes interchangeables: deux toiles avec lignes d’horizon situées au tiers inférieur, deux toiles en couleurs, deux scènes de vagues avec perspective frontale, deux scènes d'orages...
Trois scènes nocturnes, trois rivages, une seule des trois scènes montre un endroit identifiable. Il s’agit du casino de Royan-Pontaillac sur la côte Atlantique. Par analogie, on peut en déduire que les deux autres toiles montrent des vues se situant aussi sur la côte Atlantique.
Les trois tableaux, tous au même format de 42cm par 50cm hors cadre, forment une trilogie.
“Vieil Océan, aux vagues de cristal, tu ressemble proportionnellement à ces marques azurées que l’on voit sur le dos meurtri des mousses; tu es un immense bleu fait sur le corps de la Terre; j’aime cette comparaison. Ainsi, à ton premier aspect, un souffle prolongé de tristesse, qu’on croirait être le murmure de la brise suave, passe en laissant des ineffaçables traces, sur l’âme profondément ébranlée, et tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu’on s’en rende toujours compte, les rudes commencements de l’homme, où il fait connaissance avec la douleur qui ne le quitte plus. Je te salue, vieil Océan!”
Peintures et matières sur toile
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