- D'autre part des touches épaisses viennent parfois s'ajouter aux reliefs déjà existant de la matière. C'est en général le cas lorsqu'il s'agit de faire ressortir la lumière.
A ces touches peuvent s'additioner des projections de matière qui vont créer autant de points d'accroche supplémentaires de la lumière.
Lorsque la lumière prime sur la texture, alors le recouvrement de la matière sous-jacente peut être beaucoup plus dense, jusqu'à faire disparaître la matière elle-même sous la lumière.
Les touches peuvent se répartir en deux grandes familles:
- D'une part une peinture très diluée est utilisée dans un premier temps presque sous forme de jus. Cela permet une pénétration profonde dans les matières.
Les différentes teintes sont souvent apposées sans attendre de séchage complet. Le mélange se poursuit ainsi sur la toile, ce qui permet une gradation très fluide des nuances.
Les touches sont souvent soit verticales, soit horizontales, mais rarement croisées.
Dans certains endroits, des coups de pinceaux passés presque à sec permettent d'accrocher la peinture uniquement sur les reliefs de matières, sans se répandre dans les creux.
D'une manière générale, la peinture est toujours diluée lorsqu'il y a besoin de préserver la texture des matières.
Les parties les plus intensément sombres proviennent d'ouvertures percées dans la toile derrière lesquelles ont été placées des chambres noires. Il s'agit là du seul noir véritable possible: un noir non physique donné par absence de lumière.
Seules les portes et fenêtres du premier plan ont été percées, ce qui permet une modulation des noirs en fonction de la perspective atmosphérique.
La ligne d'horizon est basse, elle correspond à une vision à hauteur d'enfant. Cette disposition permet d'accentuer la dominance du paysage tout en projettant le premier plan vers le spectateur.
La logique picturale mise en place par Hopper est ici poussée jusqu'à son terme.
Une oeuvre procède autant du monde intérieur de l'auteur que de sa perception du monde extérieur. Ainsi d'un simple détail peut surgir l'Universel.
On pourrait penser que le rideau se soulève, que le voile se déchire.
Mais pour le spectateur qui voudrait plonger son regard à travers la fenêtre de la toile, il ne trouverai pas la vision d'un intérieur autre, mais seulement un vide non physique, un temps en suspension.
La plus grande menace provient toujours de ses semblables.
On pourrait trouver aisément une connection entre "La gare de l'Est" et l'oeuvre d'Edward Hopper (1882-1967).
Connu pour ses peintures mettant en scène des personnages marqués par la solitude, la sensation d'isolement se perçoit encore plus intensément dans ses paysages et sa lumière que dans les personnages eux-mêmes.
Mis à part le viaduc, chaque masse dispose d'une tessiture chromatique maximale, ce qui les rend autonomes les unes par rapport aux autres.
Seul le viaduc est traité avec une matière et un pigment uniforme. Les seules variations de teinte proviennent de la lumière extérieure.
La cohérence de l'ensemble est assurée par la distribution de la lumière. Elle s'intensifie au fur et à mesure que l'on se rapproche du centre, tandis que les parties extérieures sont envahies par l'ombre en un clair-obscur poussé à l'extrême. Cette répartition de la lumière peut être comparée au vignettage en photographie. Les gris chauds, gris-vert et gris-brun, renforcés par un lavis brun-noir à la teinture bois, sont contre-balancés par les gris-bleu et les gris neutres intermédiaires.
Les parties blanches sont issues d'un mélange de plâtre, colle et de pigment pur blanc de zinc. Les noirs proviennent en grande partie d'un mélange d'eau artificielle et de pigment pur noir d'ivoire, mais aussi de peinture gris très foncé chargée au pigment pur noir pour fresque.
La zone de lumière est légèrement décalée par rapport au centre du tableau.
Les masses principales sont équilibrées: ciel, viaduc, bâtiments, voies ferrées et quais occupent des surfaces sensiblement équivalentes.
Leur stabilité est assurée par deux lignes horizontales: l'une au niveau de l'horizon des voies ferrées, l'autre sous le tablier du viaduc. En dehors de ces deux horizontales, les autres lignes principales sont faites de courbes et de diagonales, soutenues par de petites verticales.
Les matières minérales dominent très largement l'ensemble, suivies par les matières synthétiques (eau artificielle) qui ont servi de revêtement au viaduc et aux rails. La masse de matière organique reste concentrée dans les nuages du ciel.
Les matières minérales procèdent d'un temps géologique, presque figé. Elles participent à la stabilité de l'ensemble. A l'inverse, la matière organique semble s'évaporer avec le nuage, dernier mouvement d'une vie organique en train de se retirer.
La thématique ferrovière a été explorée très tôt par les artistes, à commencer par Joseph Mallord William Turner, puis par les impressionnistes.
Les peintures de l'époque montrent une vision pleine de confiance dans les progrès de la technique.
Aujourd'hui tout un univers sépare cette vision positiviste de la Révolution industrielle et sa foi en un progrès infini, de la vision de fin d’une époque qui en a perdu jusqu’à ses couleurs.
Entre temps, deux guerres mondiales, puis des crises idéologiques, financières, et maintenant climatiques... sont venues séparer ces deux visions. Avec confirmation par la crise sanitaire survenue trois ans après la réalisation de cette toile.
Cette technique fut inaugurée en 1999 avec "La Tour Saint-Jacques". Elle permet d'obtenir un noir non physique par absence de lumière.
Elle fut utilisée sur d'autres toiles comme par exemple "L’Assemblée Nationale" (2012-2015) ou "La Cathédrale" (2011-2014).
Pour s'inscrire dans la composition, certains immeubles du fond ont été supprimés en plus du poste d'aiguillage.
De même, un étage supplémentaire a été rajouté au bâtiment du deuxième plan afin de s'inscrire dans une ligne de courbe générale.
Les bâtiments ont fait l’objet d’une perpective rabattue à plusieurs points de fuite pour donner une courbure plus accentuée que dans la configuration réelle d'origine.
Cette composition en courbes convergentes puise son inspiration dans une peinture de Jérôme Bosch. Plus précisément dans le deuxième panneau du chemin vers le Paradis des "Visions de l'au-delà" intitulé "La montée des bienheureux vers l'empyrée", célèbre par l'interprétation de certains auteurs qui y voient la représentation d'une expérience de mort imminente.
Cette interprétation trouve ici son écho dans le paysage noir et blanc de quais désertés et de bâtiments vides.
La composition générale est faite de courbes aspirées vers une zone de lumière centrale très dense, donnant une impression de vortex.
1999 - La Tour Saint-Jacques
2012-2015 - L'Assemblée Nationale
2011-2014 - La Cathédrale
Des ouvertures ont été percées dans la toile et complétées par un système de chambre noire au verso.
Les détails additionnels ont été ajoutés à l'aide de fils métalliques, papier à cigarette, fibres de lin, ...: grilles, rembardes, rideaux, touffes d'herbe...
Les nuages du ciel sont en coton.
La difficulté consiste à assurer une transition aussi fluide et naturelle que possible entre des matières aussi différentes que le coton et le plâtre.
L’ensemble de la toile a fait l’objet d’une gravure précise, sauf les éléments en arrière-plan qui ont été atténués afin de restituer la perspective atmosphèrique.
Le viaduc a été construit pièce par pièce avant d'être assemblé sur la toile.
Le ciel a été commencé avec une préparation par projection d'un mélange de plâtre et de colle.
Cette préparation remplit deux objectifs:
- Obtenir un fond en trame aléatoire qui va casser la régularité de la trame d'origine de la toile.
- Obtenir une surface plus absorbante dans laquelle la peinture va se fondre en des dégradés beaucoup plus progressifs.
Le viaduc, ainsi que les rails sont faits de balza recouvert d’une très fine couche de ciment puis d'une solution aqueuse de polyuréthane (eau artificielle).
Ceci permet d'obtenir des éléments avec une texture lisse proche d'une texture métallique, tout en restant suffisament souples pour être intégrés dans les lignes de perspectives.
Le ballast des voies est constitué de sable et de graviers de différentes granulométries en fonction de leur position dans le plan de la toile.
Les bâtiments ont fait l’objet d’un pré-volume en balza avant recouvrement de ciment. Cette méthode utilisée depuis 2012 permet d’alléger le poids final de la toile.
Cette préparation incluant: essais de différents formats, essais de mise en lumière, vérifications des lignes de fuite, essais de différentes configurations... a pris à elle seule plusieurs semaines.
Des images satellite ont été utilisées pour intégrer les modifications dans la configuration globale du site, afin que la disposition des différents éléments reste cohérente.
- L'image choisie pour servir de base de travail a ensuite été retravaillée numériquement jusqu’à obtenir la composition générale souhaitée.
Ce premier travail consistait à épurer l’image d’éléments non désirés (signalisation, caténaires), puis à reprendre la courbure des voies pour les faire répondre aux autres courbes de la composition.
Le but était entre autres de rendre une composition épurée à ses éléments essentiels.
De nombreux essais de configuration de bâtiments ont été réalisés avant d’aboutir à une ligne définitive.
Ainsi le poste d’aiguillage a été supprimé et la ligne de bâtiments a été modifiée en adaptant l’architecture à l’intention générale de la toile.
- Ensuite une ou plusieurs scéances photos si le sujet s'y prête (ou sinon des dessins préparatoires), en vue de mémoriser les formes, travailler les cadrages, et trouver le meilleur point de vue pour fixer les grandes lignes de composition.
Les photos ont été prises volontairement sous lumière neutre par temps gris, de façon à n'avoir aucune influence sur la lumière future du tableau.
Par la suite seulement, le dessin a été réalisé sur toile.
Aux fenêtres des rideaux en lambeaux. Des ouvertures percées dans la toile parsèment les bâtiments ici et là.
Aucune présence humaine n’est visible, les bâtiments semblent laissés à l’abandon. Aucun signe d'activité en cours n'est perceptible.
Les voies sont nues, aucun système de signalisation n'est visible, pas plus que les caténaires.
La toile est en noir et blanc.
Il s’agit de la gare de l’Est, construite à partir de 1847 par l'architecte François-Alexandre Duquesney et l'ingénieur Pierre Cabanel de Sermet, puis inaugurée en 1850.
Le point de vue est situé sur l'un des quais de la gare, face au viaduc de la rue de l’Aqueduc.
© Luc Dartois - Février 2021
Le réalisation de ce tableau fut complexe, à commencer par sa préparation.
Le travail préparatatoire s'est élaboré en plusieurs étapes:
- D'abord une vision brute destinée à être uniquement travaillée de mémoire. De cette vision va émerger une atmosphère générale et les lignes directrices qui resteront sous-jacentes pendant tout le processus de construction de la toile.
La construction de cette toile a duré pendant toute l’année 2016 jusqu’au début 2017, soit un an et trois mois de travail.
Elle a été exposée pour la première fois à Paris en juin 2017 et fut vendue le premier jour de son exposition.
Elle est signée au tampon en haut à droite. Au verso figure la liste des ingrédients utilisés.
La toile est d’un grand format pour ce type de peinture, 128cm de long pour 80cm de haut.
Elle a été réalisée en lumière du jour à droite, orientation Sud-Est, mais aussi sous lumière artificielle placée sur la gauche.
Un quai -désert- encadré par des voies de chemin de fer. A droite et dans le fond à gauche des barres de bâtiments, en face un viaduc.
2016-2017 - Paris, Gare de l'Est, viaduc de la rue de l'Aqueduc
Peintures et matières sur toile
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