Détail du Château en Ecosse:
gros plan sur la couche nuageuse en coton et la mer en résine (eau artificielle).
Détail de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Des ouvertures ont été percées dans la toile, l'espace peut ainsi continuer à se déployer derrière la toile.
Une chambre noire a aussi été installée derrière la toile, ce qui permet d'obtenir le vrai noir: le noir donné par absence de lumière, contrairement à un noir issu de pigment qui reflète toujours une partie de la lumière.
Détail de la Tour Saint-Jacques: les branches sont faites de branchages et d'écorces, la tour est en ciment gravé et sculpté.
Il n’y a aucune limite dans l’utilisation des matières, à part leur maîtrise.
Le choix des textures peut être un choix logique, surtout avec des sujets figuratifs: des matières minérales pour des éléments telluriques (montagnes, rochers, constructions en pierre, etc.), des matières organiques pour ce qui relève du domaine végétal (arbres, herbe, etc).
Mais rien n’empêche d’inverser les logiques ou d’employer des matières à contre-courant.
Prenons l’exemple d’une couche de nuages.
En peinture “pigments”, on va se demander quel pigment utiliser pour rendre la couleur et la lumière de ces nuages.
Or, une couche de nuages est bien plus qu’un simple aplat de gris ou que quelques variations de couleurs.
C’est une somme de forces constamment en mouvement, des courants ascendants et descendants, des superpositions de couches qui interagissent en permanence.
En peinture “matière”, au lieu de se poser la question du pigment, on va d’abord se demander quelle(s) matière(s) utiliser pour rendre la texture, la densité et la masse de la couche nuageuse, avant d’en organiser la lumière par apport de pigments.
Par contre le pigment conserve un rôle particulier: il est à la fois unificateur et révélateur.
Il va assurer la cohérence d’ensemble de toute l’oeuvre en donnant une unité de lumière et/ou de couleur, mais il peut aussi accentuer les parties lumineuses de la matière ou renforcer les ombres portées par la lumière extérieure.
Le pigment n’est plus la source de la construction de l’espace (ce rôle étant maintenant assuré par la texture -qui n'est pas autre chose que la structure interne de la matière-), mais il va aider à le révéler.
On peint habituellement sur toile, mais rien n’empêche de peindre sur de la roche (cela s’est pratiqué avec l’art pariétal pendant des millénaires), sur du bois, sur des murs en béton, sur papier, ou sur n’importe quelle autre matière.
Ce qui importe, c’est que un ou plusieurs éléments de la composition se différencie par leur texture de l’espace qui les entoure.
Avec la matière, les textures vont remplacer les couleurs dans la construction de l'espace.
Le pigment devient ainsi une matière parmi d’autres. De même la surface (ou le support) devient elle aussi une matière parmi d’autres.
La surface et le support n’ont pas lieu d’être différenciés puisque si une surface fait corps avec son support, elle devient elle-même support. De même, lorsque la surface fait corps avec le volume, elle devient elle-même volume.
Depuis Paul Cézanne (1839-1906), une évolution s’était faite dans la manière de construire l’espace.
La construction au travers de lignes de perspective linéaire telle qu'on la connaissait depuis la Renaissance a été changée pour une construction par juxtaposition des couleurs.
C'est ce que l'on a appelé la leçon de Cézanne: “Avec la couleur seule, on peut creuser la perspective. Des vibrations de bleu placées à coté de rouge et de jaune permettent de faire sentir l’espace et la profondeur”.
Un peu de théorie
Le point fondamental est la différenciation des textures. Les matières occupent l’espace, la différenciation des matières va organiser et hiérarchiser l’espace en différenciant chaque élément de la composition.
Cette différenciation (de chaque élément de la composition) s’opère par la combinaison de la texture, du volume et de la perspective.
A la fin des années 40', l’utilisation de la matière va se développer à travers plusieurs mouvements, dont le courant matiériste, lui même issu de l’art brut de Jean Dubuffet et du spatialisme de Lucio Fontana.
Ce courant matiériste, souvent rattaché à l’art informel, sera dominé par l’abstraction. La matière sera aussi abondamment utilisée par l’Arte Povera à la fin des années 60'.
On ne négligera pas non plus l’apport du spatialisme de Lucio Fontana (1899-1968).
En effet, la mise en volume de la matière n’est pas limitée par la surface de la toile.
L’espace peut se déployer devant la toile, sur sa surface, et au delà de sa surface.
Outre ses collages, Georges Braque a commencé à charger ses pigments vers 1912 en introduisant du sable, de la sciure de bois, de la limaille de fer. Ce qui lui a permis de se rendre compte de la dépendance de la couleur à la matière.
Ces charges destinées à modifier la texture des pigments sont en fait la véritable porte d'entrée vers la matière sur toile.
Georges Braque (1882-1963) et Pablo Picasso (1881-1973) se sont aussi intéressés aux textures. Ils sont les premiers à avoir réalisé des collages.
Mais malgré certains points communs, la matière sur toile n’est ni du collage, ni de l’assemblage, ni du papier collé. Il ne s’agit pas non plus de “technique mixte”, mais bien d’une technique à part entière.
Les collages sont l’ajout d’objets extérieurs, donc l’inclusion du monde extérieur sur la surface de la toile, alors que la matière construit et déploie l’espace interne de la toile.
En poussant plus loin, on peut en arriver à la conclusion que toute image plane est fausse. Que ce soient des pigments étalés d’une certaine manière sur la toile (peinture), de l’encre sur du papier (photo), ou des pixels sur un écran (image numérique).
Du reste pour s’en convaincre il suffit de regarder autour de soi: tout ce qui constitue notre environnement est fait de volumes et de textures.
Un mur de pierres, un arbre placé à l'arrière, l’air qui les entoure... ne sont pas situés sur le même plan, ils ont leur volumes propres, et surtout leur texture propre.
Un arbre ou un mur de pierre ne sont pas constitués de pigments, d’encre, ou de pixels, mais sont constitués... de bois et de pierre.
On peut utiliser tous les artifices imaginables, cent mille milliard de pixels ne pourront jamais approcher la présence d’un seul gramme de matière.
Un peu d’histoire
Le premier à avoir pris conscience de la problématique des textures fut Maurice Denis (1870-1943): « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. ».
Il s’agit, pour chaque élément de la composition, de lui assigner une matière (donc une texture) qui va le différencier de l'espace qui l'entoure. Chaque élément étant intégré dans une composition, mis en volume et éventuellement mis en perspective dans le cas de sujets figuratifs.
On connaissait: L’huile sur toile.
L’acrylique sur toile.
Le pastel. L’aquarelle...
Maintenant il y a aussi: La matière sur toile.
Peintures et matières sur toile
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